ORTHOGRAPHE OU ORTOGRAF ?

 


La langue française n’est pas de bois (sauf pour les politiciens), elle vit. Elle respire, elle palpite, elle gueule ou elle susurre, selon. Elle grossit des mots et expressions empruntés à d’autres langues, de même que d’autres langues se nourrissent d’elle. Elle se débarrasse sans douleur de ses mots obsolètes (pardon, je voulais dire de ses vieux mots hors d’usage) qui disparaissent sans faire de bruit. Elle évolue naturellement comme se transforme un paysage au fil des saisons, selon les caprices du climat. Alors ? Pourquoi vouloir la torturer, la forcer ? Plutôt que de la violer, attendez qu’elle soit consentante ; elle se métamorphose d’elle-même, à son rythme. Le Français actuel n’a plus grand chose à voir avec l’ancien Français.

Une tentative louable de langage universel n’a eu que peu de succès : l’Espéranto se présente comme un patchwork (mot d’origine anglaise qui s’est intégré naturellement à la langue française) sans racine et reste cantonné à un nombre restreint d’initiés parce qu’il est fabriqué de toutes pièces à partir de mots empruntés à divers langues sans véritable légitimation. Le calendrier révolutionnaire lui-même, préfabriqué, arrivé dans la langue comme un cheveu sur la soupe, n’a pas perduré.

Certains mots de notre langues sont bisexués (un ou une après-midi par exemple), d’autres changent de sexe lorsqu’ils se singularisent ou se pluralisent (les inénarrables « Amour », « délice » et « orgue »), d’autres encore restent invariables, certains ont (déjà) deux orthographes… et alors ? Jusqu’à présent aucune manifestation style « anti mariage pour tous » n’est venue leur jeter la pierre. Mesdames et messieurs les décideurs à tout prix cessez de vouloir imposer !

Telle est la maladie de ce siècle adolescent : l’intolérance triomphante (ph) qui, non contente de se manifester à grand bruit, prétend imposer ses lois souvent absurdes, parfois haineuses (les exemples sont, hélas, nombreux), parfois tout simplement inconsistantes comme cette réforme réductrice de l’orthographe qui, si elle est appliquée, n’aura pour effet que de niveler encore plus par le bas. Va-t-on, à force de simplifications, en revenir à la simple onomatopée ? Mais n’est-ce pas le rêve de toutes dictatures que de crétiniser le peuple pour mieux le contrôler (n’oubliez pas le chapeau sur le ô)?

Au-delà des modifications arbitraires – parfois navrantes – qu’elle veut imposer brutalement, ce qui me dérange le plus dans cette réforme tant autoritaire que subite de l’orthographe, c’est la discrimination sous-jacente qu’elle implique. Un apartheid générationnel en quelque sorte, une façon de reléguer les anciens qui pratiquent une orthographe traditionnelle dans les abysses du passé ou le cul de basse fosse de l’histoire (au choix).

Quelques autocrates qui n’en peuvent plus de leur pouvoir ressortent de la naphtaline (avec « ph » s’il vous plaît !) une réforme décidée il y a deux décennies (environ) mais non appliquée (avec raison sans doute). Je ne vois dans cette décision subite de remettre cette réforme au goût (avec un chapeau sur le û) du jour qu’un reflet de l’état d’esprit nauséabond qui s’installe à grand pas au sein de la société humaine : cette fascination de la dictature, fruit de l’intolérance alliée à la bêtise. Imposer (ou tenter de le faire) des lois à des gens contre leur gré semble constituer l’unique mode de jouissance de cette catégorie d’individus pour qui l’autoritarisme est une véritable profession de foi (et parfois de foie).

Pour ma part, comme beaucoup de représentants de ma génération, j’en ai bavé avec l’orthographe. Je suis pourtant parvenu, non sans effort, à la maîtriser à peu près correctement et j’en éprouve une légitime fierté. Existe-t-il intégration mieux réussie que de s’approprier sa langue maternelle ? Alors, à ces individus grisés de « pouvoir pouvoir », je me permets de dire que je ne changerai pas mon orthographe, ce qui les satisfera d’autant plus qu’ils auront atteint leur but : reléguer toute une frange de la population (ma classe d’âge entre autre), l’isoler dans la catégorie « Has been » (oui oui, ça vient de l’anglais). Je me permets aussi d’informer ces empêchés qu’ils se trompent lourdement : la jeune génération n’est pas, comme ils semblent le souhaiter, une génération d’abrutis. Elle compte, comme toutes celles qui l’ont précédée, son pourcentage d’abrutis mais aussi sa part de génies et sa masse d’individu raisonnablement intelligents, peu enclins à se laisser dicter (au sens de manipuler par une dictature).

Sachez donc, mesdames et messieurs les autoritaires à tout prix (au point de vouloir mutiler la langue française qui ne leur demandait rien) que je vous emmerde ! (avec deux « m »).

JPM
​                                                                     ***